Homélie de la messe internationale du PMI - Dimanche 18 mai 2014

« Moi, je suis le chemin… personne ne va vers le Père sans passer par moi… puisque vous me connaissez, vous connaîtrez aussi le Père.» Cette magnifique affirmation de Jésus, qui la comprend ? L’évangile nous montre la réaction négative d’un des plus proches, Philippe, un des douze apôtres, compagnon de la première heure. Il objecte : « Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit. » Et voilà le nœud de notre évangile mais aussi la grande question de notre vie : quel est le lien entre ce Jésus, appelé Christ, et le Père, ce Dieu immense, adoré par les juifs, pressenti par les païens, connu à tâtons par ces milliards d’hommes, les vrais chercheurs de Dieu ?

Disons-le autrement : ce Jésus-Christ, est-il un Maître qui disparaît dès qu’il a mis son disciple sur le bon chemin ? Est-il un rabbi comme les autres qui souhaite que son disciple vole de ses propres ailes et s’émancipe de sa tutelle ? C’est ainsi que Philippe semble voir les choses. Nous pourrions retraduire sa demande : « Seigneur, ne nous embrouille pas l’esprit en nous parlant de toi, désigne-nous le seul Dieu, montre-nous son visage d’amour, comme tu l’as fais en nous donnant le Notre Père, cela nous suffit. »

Or Philippe fait ici deux erreurs.

La première au niveau de la raison naturelle, la seconde au niveau de la foi. Comme toujours raison et foi, les deux ailes de l’esprit, se confortent et se complètent.

1. La première erreur contredit le bon sens naturel, la raison. Philippe oublie l’intérêt du chemin, il oublie la joie d’avancer sur la voie avant d’atteindre le but. Les courses en montagne, pour ceux qui les aiment, visent un sommet ou un lac, par exemple. Mais le plaisir de la montagne tient d’abord à la marche elle-même ! A l’effort, à la découverte de paysages nouveaux, à la joie du dépassement de soi… bref, pour l’homme, le chemin importe autant que le but et vouloir gagner le terme au plus tôt, par la voie la plus rapide, est une absurdité moderne : éliminer le temps du chemin détruit l’homme. Le chemin est un moyen mais il n’est pas seulement un moyen : il construit et épanouit l’homme. Tous ceux qui partent sur le « Camino de Santiago » le ressentent vite. Souvent, ils ne restent qu’une journée à Saint Jacques après des mois de marche. L’homme est fait pour le chemin. Vouloir toujours le réduire par la vitesse appauvrit l’homme. Apprécions la valeur du chemin comme le « Petit Prince » qui, avec le temps gagné par les pilules inventées pour remplacer l’eau, marche tranquillement vers le puits. Réfléchissons à notre manière de faire les choses : parfois nous nous précipitons et nous voulons achever l’ouvrage trop vite, aux dépends de la qualité de nos relations professionnelles. Obsédés par le travail à finir, nous négligeons nos collaborateurs. Nous ne serons pas jugés sur le volume de travail mais sur la qualité de nos liens, sur l’amour que nous y avons mis. Le chemin n’est pas qu’un moyen, il appartient aussi au but.

2. La seconde erreur concerne notre sens surnaturel de Dieu, la foi. Philippe confond Dieu avec une réalité finie, avec une réussite ou un diplôme à obtenir, avec un travail à finir ou une terre à atteindre. Mais Dieu n’est pas le sommet de la montagne, Il est la montagne elle-même : qui part vers lui marche déjà en lui ! Chercher Dieu sans être déjà en Lui, c’est le confondre avec une idole, c’est en faire un Dieu rabougri, à taille humaine. Qui connaît vraiment Dieu pour l’avoir fréquenté dans la prière, dans l’amour du frère, comprend ce que je dis. Le vrai Dieu, Infini et Transcendant, ne peut être atteint par un chemin qui ne serait pas Lui : il est impossible à l’homme d’atteindre l’Incréé par la créature. On peut bien entasser toutes les créatures les unes sur les autres et monter dessus : on demeure aussi loin de Dieu que si on était resté sur le sol. Pour toucher le soleil, on peut gravir la plus haute cime du monde et tendre le bras : on ne caressera pas plus l’astre brûlant qu’au fond de la vallée…

Voilà l’enjeu de la marche vers le vrai Dieu : le trouver déjà pour Le chercher, marcher en Lui déjà pour aller à Lui, Le percevoir déjà pour Le découvrir, Le goûter déjà pour Le désirer. Comment faire ? Cela est-il concrètement possible ?

Dieu prend la forme d’un chemin pour l’homme. Il se fait pente de la montagne pour l’homme en marche, Lui qui n’est que sommet. Il s’insère dans le temps pour l’homme historique, Lui qui n’est qu’Eternel. Il se fait chair pour l’homme qui est chair, Lui qui n’est qu’Esprit. Ce Dieu qui ne se perd pas en se donnant, ce Dieu accessible immédiatement mais à parcourir longuement, ce Dieu sur qui l’on peut poser ses pieds, c’est le Fils incarné, Jésus-Christ.

 

Voilà ce que Philippe ignorait encore. Voilà ce que nous savons, voilà ce que nous croyons. Marchons sur le sol divin, pavé d’amour et de lumière, entrons dans le Christ comme on s’engage sur une voie. Plongeons dans l’Eucharistie.

+ Luc Ravel